Horses run.

Arthur n’était pas un grand amateur de courses hippiques et encore moins friand de pari. Pourtant, lorsque sa mère insista, ce matin, pour qu’ils se rendent de concert à la course organisée, il avait flanché. Wellesley était épuisé de son retour de voyage, mais il faisait bonne figure, pour ne pas inquiéter le tout Londres, qui avait déjà pour sujet d’inquiétude, l’état de santé du Duc de Wellington, son père. Il avait accepté, également, afin que sa mère puisse enfin prendre l’air et se changer les idées. Il avait laissé son père aux bons soins des domestiques et du médecin qui viendrait dans la journée. En se regardant dans la glace ce matin-là, Arthur se sentit las et sans son sourire habituel. Faisait-il donc partie de ces fils naïfs pensant leur père éternel ? C’était ce don il se fit la remarque. Peut-être qu’il prenait conscience que tout cela avait une fin et qu’elle se rapprochait inexorablement. Le rapprochant toujours plus de la cage dorée, à la porte grande ouverte, qui l’attendait au bout du chemin. Dans un an, un mois ou une semaine, il pouvait très bien se retrouver affublé du titre de Duc de Wellington et endossé le poids allant avec. Alors, Arthur accrocha son célèbre sourire à ses lèvres et fit comme si tout allait bien.

Il faisait beau ; il faisait agréablement chaud. Dès lors, Wellesley ne regretta pas d’être venu prendre l’air en compagnie de sa mère. Enfin, presque. Lorsqu’elle commença à lui présenter quelques dames de sa connaissance et leurs filles à marier, il cacha son ennui et servit encore et toujours le même sourire, qui pour le coup lui donnait quasiment des crampes à la mâchoire. Heureusement pour lui, sa mère voulait impérativement jouer le jeu des paris et le laissa un instant seul avec lui-même. Suffisamment pour qu’il s’écarte de la horde de mères et de filles, qui tentaient de lui arracher une promesse vaine de rencontre ou d’invitation à un quelconque dîner. Non, Arthur ne souhaitait pas d’un dîner chez lui. Son père était en de mauvaise disposition et il était hors de question qu’on lui nuise de quelconques façons.

Trouvant un peu d’ombre, il retira son chapeau, pour remettre ses mèches rousses qui s’échappaient de sa coiffure impeccable et respira une grande goulée d’air. Diantre. Il serait temps qu’il se marie, que tout cela finisse, mais comment ? Comment enfermer une jeune fille dans une triste situation ? Il devrait bien y passer après tout. Adieu liberté. Alors, qu’il allait reprendre le chemin des gradins et retrouver sa mère, un visage familier s’imposa à sa vision. Un visage qu’il n’était que trop heureux de croiser, car son propriétaire occupait bien du temps à ses doigts. « Astley ! » S’écria-t-il en apercevant le Baron de Hastings et le rejoignant en quelques foulées. « Mon cher Jacob ! Je ne pensais pas vous voir ici. C’est providentiel de vous voir. » Arthur et la démesure qui faisait sans doute son charme, mais il était effectivement heureux de revoir son correspondant. Celui qui l’accompagnait malgré lui dans toutes ses aventures. Et qui lui donnerait matière à converser ce jour, en oubliant le monde étouffant qui les entourait. « Comment vous portez vous, mon cher ? »

Il était effectivement surprenant de trouver le fils Wellington en ces lieux. Il n’avait jamais bien saisi l’intérêt de regarder les chevaux courir à perdre haleine, avant d’être réformé avant même d’avoir dix ans ; physiquement brisé par les efforts fournis. Quand ils ne finissaient pas sur les étales des abattoirs. Toutefois, la bonne société étant ce qu’elle, il se pliait à son bon vouloir et par-dessus tout, à celui de sa mère. Plus surprenant encore, qu’il soit déjà sur le devant de la scène, alors qu’il avait remis le pied sur sa mère patrie, depuis quelques jours à peine. Ce que femme veut, Dieu le veut, après tout. Non pas qu’Arthur ait été idiot au point de croire que cette demande expresse de sa mère n’ait pas caché quelques idées plus intéressées. Il avait juste cru-elle qu' attendrait au moins que la première course soit passée. C’était mal connaître la Duchesse. « La surprise est des plus partagée, mon bon ami. Je vous croyais peu friand de ce genre de chose. De ce que vous m’en dites. »

Ah, Jacob. Arthur devait admettre, sans l’ombre d’un doute, que cet homme savait inspirer quelque chose dans son âme et dans son cœur. Chose qui, jusqu’ici, il avait toujours balayé d’un revers de la main. Il n’avait jamais réellement eu de correspondant régulier, si ce n’est la faculté des sciences, qui s’intéressait à ce qu’il faisait et découvrait à travers le monde. Non, personne ne lui tenait vraiment à cœur, pour qu’il soit un écrivain si régulier. De plus, il était très bel homme et particulièrement bien fait de sa personne. Des pensées que Wellesley gardait jalousement pour lui, par trop conscient de sa déviance, sans jamais pourtant parvenir à s’en blâmer. Et puis, il n’était guère question de gêner qui que ce soit du fait de ses préférences. « Madame ma mère est le plus féroce dragon d’Angleterre, vous devriez le savoir. » Ironisa le marquis en cherchant la criminelle notoire des yeux. Ouf, pas en vue.

« Quant à mon état, je vais au mieux pour quelqu’un qui a remis le pied en Angleterre depuis deux jours seulement. La bonne société n’attend pas, visiblement. » Le ton était léger, mais cachait mal une certaine amertume. « Je crains que cela ne soit la dernière fois que je puis mettre les pieds sur un navire avant très longtemps. » Il serait mal séant qu’il reparte à l’aventure, si l’état de son père empirait. « Mais je ne vous embêterai pas plus longtemps. Je suppose que vous n’êtes guère venu seul ? »

Arthur bâtit des cils, dans un air des plus surpris. Diantre ! Voilà qui était surprenant. Il semblait que son correspondant lui prête des desseins tout à fait à côté de ses intentions. Ce n’est pas qu’il souhaitait quitter la compagnie du jeune homme, mais il s’était si grossièrement imposé à lui, en réalité, sans prendre le temps de savoir si Jacob n’avait pas d’autres projets pour aujourd’hui. « Vous m’envoyez particulièrement désolé, si j’ai pu vous faire croire, en quelques façons, que je fuyais votre compagnie. Néanmoins, je ne m’attendais pas à ce que la mienne vous ai manqué à ce point, surtout que je n’ai pas le sentiment d’avoir réellement été absent. Grâce à nos échanges épistolaires. » Ironisa-t-il avec la même légèreté, qui pourrait faire croire qu’il ne prenait jamais rien vraiment au sérieux. Et pourtant, Arthur prenait bien des choses très au sérieux. « Mais puisque vous insistez, je reste en votre aimable compagnie encore un moment, avec un immense plaisir. » Sans compter qu’ainsi, il était particulièrement tranquille. N’ayant en définitive aucune envie de regarder les courses, et visiblement Hastings non plus.

« Il semble que ce soit le lot de la plupart des joueurs. Je n’ai jamais beaucoup aimé les jeux d’argent. Je préfère le dépenser à des fins plus… disons intéressante. Mais comme vous, à choisir, je préférerai être sur l’un des chevaux, que de les regarder courir. Il faudrait, à l’occasion, que je vous présente mon bon ami, le Duc de Norfolk. Il a un élevage impressionnant et d’excellents chevaux et je gage qu’il se pourrait que nous profitions de ses largesses, pour lui emprunter l’un ou l’autre, afin de faire une randonnée intéressante. Qu’en dites-vous ? » S’évader, même un peu, non loin de Londres certes, mais de façon à voir autre chose que des bâtiments ou des courses idiotes.

L’état de Wellington n’était vraiment pas un secret pour le reste de la société et cela peinait d’autant plus Arthur. Peut-être que le fait qu’avant la guerre contre Napoléon, ils étaient encore de simples gens avait aidé à ce qu’il ait cette relation privilégiée avec son père. Sûrement le fait d’avoir combattu avec lui, également. Toujours est-il qu’il souffrait en silence à l’idée de le voir disparaître trop promptement. « Je ne saurais dire. Parfois, il me semble qu’il va sauter hors de son lit et reprendre le cour de la vie, comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve. D’autres fois, j’ai la sensation qu’il me faudrait appelé l’aumônier en urgence. » Arthur soupira longuement. « Qui aurait-cru, que le vainqueur de Napoléon en viendrait là, si promptement… » Soudainement, Wellesley eût très froid à l’intérieur de lui-même, perdant son trop célèbre sourire désinvolte. « Non, je ne tiens plus à rien, pour être absolument honnête avec vous. Je n’ai que faire de tout ceci et ne sait même qu’en faire. J’aimerais simplement être à la maison à palabrer avec lui. Vous savez, que je ne suis pas né noble et, c’est sans doute cela qui me rend si libre d’esprit. La victoire à Waterloo a changé tellement de chose ; notre statut a tellement évolué en un claquement de doigts. Je pensais y échapper en courant le monde. Idiot, sûrement, j’ai pensé que mon père vivrait encore bien des années ; que j’avais le temps de me préparer à la conformité de ce monde. Il n’en est rien et aujourd’hui, le temps me manque et ce monde m’étouffe déjà. »

Posant ses grands yeux verts sur son ami, Arthur se sentit assez mal à l’aise de s’être livré ainsi, mais également soulagé. Reprenant le contrôle de son attitude, comme le voulait la société, il lança à la cantonade. « Mais il fait si chaud, ne souhaiteriez-vous prendre un rafraichissement, mon cher ? »